mercredi 23 décembre 2015

Les petites histoires de l'atelier (2): La grand-mère, le typographe et le kilo de carottes

Cela faisait un sacré moment que je ne vous avais pas raconté une « bien bonne » qui est arrivée à l’atelier...

La relation entre un client et un artisan, dans n’importe quelle profession, est toujours source d’histoire : bonnes ou mauvaises, drôles ou tristes. Généralement, c’est toujours un échange entre deux mondes qui ne se connaissent pas. Le but est donc d’arriver à se comprendre et à faire de l’excellent travail en commun. Cela peut être simple ou très compliqué, mais c’est toujours l’occasion de rencontres variées qui forgent avec le temps une excellente relation entre le client et l’artisan. Plus nous parlons entre nous, mieux on arrive au résultat avec le moins d’énervement possible.

La peur que peut inspirer un imprimeur à ses clients, la première fois, est proverbiale. Le mythe de l’imprimeur ronchon qui ne veut jamais faire ce que le graphiste souhaite est tenace, mais c’est une autre histoire. La crainte, donc, est de temps en temps manifeste. La peur de dire une bêtise face à un artisan qui connaît bien son art est normal. Mais un bon artisan sait rassurer et faire entrer dans son monde la personne qu’il a en face de lui. C’est la richesse d’aller chez un artisan : pouvoir discuter directement avec le créateur, comprendre les enjeux de chacun et arriver à un résultat personnalisé qui ravira tout un chacun. Le client comprend mieux les enjeux, les problèmes techniques et peut adapter sa demande plus facilement. Chez l’artisan, on crée ensemble ! Mais de temps en temps, la patience des uns et des autres peut-être mise à rude épreuve, jugez plutôt.

Lors d’une journée portes ouvertes importante, beaucoup de visiteurs se pressent à l’imprimerie afin de découvrir les secrets de Gutenberg. Bien évidemment, dès l’ouverture, des néophytes posent une foule de questions au typographe, qui essaie tant bien que mal d’y répondre le plus clairement et le plus intelligemment possible. Certaines de ces questions peuvent lui paraître simplistes ou un peu bêtes, mais il garde toujours à l’esprit que la personne qui est en face de lui n’est pas un professionnel et ne peut bien évidemment pas tout savoir sur sa passion, sur son domaine de prédilection. Cela fait aussi partie de son job, lorsque l’on fait un métier en voie de disparition. Il faut faire découvrir aux gens son métier, transmettre son savoir, faire découvrir les arcanes de l’impression au plomb. Quand on est passionné, il est toujours difficile de faire preuve d’objectivité. On s’emporte facilement, mais c’est toujours agréable de faire partager son art, normalement...

Il y a toujours un « mais » dans ce genre de journée. Il y a toujours la personne qui fera déborder le vase de notre patience ! Et c’est là qu’il faut faire attention à ce que l’on va dire. On aimerait tellement dire une chose bien sentie, s’en débarrasser et passer à autre chose, histoire de se calmer les nerfs. Mais on ne peut pas ! La personne en face de nous est un client potentiel et l’on ne peut pas lui dire ses quatre vérités en face... Et surtout, il y a du monde autour qui écoute... Il faut de temps en temps faire attention à l’image de marque. C’est parfois dur, mais c’est ainsi. Mais quelquefois, assez c’est assez ! Et les nerfs nous lâchent...

Revenons à notre journée, il faut penser que pour préparer une telle manifestation, le typographe a bossé comme un forçat pendant des jours, avec l’aide merveilleuse de ses connaissances venues lui prêter main-forte. Les journées commencent à 7 heures du matin pour se terminer à 1 h le lendemain matin. C’est long et éprouvant. Arrive le jour J, tout est prêt ! La fatigue se fait déjà sentir, mais notre homme est tout à la joie d’accueillir ses visiteurs et de leur faire découvrir son monde. La journée se passe superbement bien, beaucoup de monde, beaucoup de discussions avec des amis, des clients, des parents, des explications avec les enfants, et des démonstrations à tout va.

Arrive la fin de l’après-midi, l’apéritif avec le buffet où l’on se rue dessus de bon cœur ! On mange, on boit. Les langues se délient. Le typographe relâche un peu sa pression intérieure. Dans quelques heures, on pourra fermer la porte de l’atelier, le sentiment du devoir accompli. Le lit est à portée de main. L’on pourra se reposer après une journée bien chargée. Après de bonnes et intelligentes discussions, on a réussi à transmettre, partager sa passion. La plus belle récompense sera toujours un enfant qui a les yeux qui brillent en voyant une machine de 1840 en action et qui vous dit le plus sérieusement du monde : « je serais typographe quand je serais grand ! » Il a le temps d’y penser, mais cela fait toujours chaud au cœur. Et l’on sait que l’on a réussi à transmettre sa passion au public, que son métier n’est pas mort et l’on suscite encore de l’intérêt. Ce calme relatif est annonciateur de catastrophes. On ne s’en doute jamais. On y pense de temps en temps, mais une si bonne journée ne peut pas virer comme cela en une seconde. Après coup, l’on se dit que l’on aurait pu le prévoir, on ne nous y reprendra pas la prochaine fois ! Mais on se fait chaque fois avoir par le choléra des portes ouvertes, par la mamie tromblon qui va détruire toute cette belle journée en ouvrant la bouche une fois de trop.

Un artisan, quel qu’il le soit, est quelqu’un de passionné, de passionnant, mais il est très susceptible par rapport à son travail. Un artisan peut réaliser tout ce que vous voulez, mais il faut savoir lui parler avec douceur, politesse et intelligence. Autrement, il peut perdre son calme et sa patience et l’on retombe dans le vieux mythe de l’artiste grincheux et incompris.

Cette petite dame, menue, qui a l’apparence d’une gentille grand-mère, on l’a vue arriver ! On ne s’est pas méfié. Une gentille grand-maman qui se balade dans le quartier, certainement à la recherche d’un cadeau pour un petit fils aimant. Mais on a beau la regarder, on commence un peu à se raidir. Cette personne tape dans le buffet de bon cœur, boit son verre comme tout le monde, ne dit rien, n’achète rien, ne dépose rien dans la crousille du repas... « Encore une pique-assiette, dommage, elle avait l’air si gentille ». On se dépêche de penser à autre chose et l’on vaque à ses occupations. Eh bien non, le destin en avait décidé autrement, la dame vient vers notre typo passionné et fatigué pour lui poser la question qui ne fallait pas ! Celle de trop ! Dont la réponse, dans un lieu comme celui-ci devrait aller de soi. On ne pose pas cette question en face du maître des lieux. Ou bien, on la pose à quelqu’un d’autre, un aide de l’atelier, un ami qui saura certainement y répondre sans détruire d’un seul coup le peu de croyance en la condition humaine qui reste à notre sympathique, mais éreinté typographe.

— Que faites-vous ici et à quoi cela sert-il d’utiliser ces vieilles machines à l’heure de l’électronique ?

« À rien, ma brave dame. À RIEN ! » Que voulez-vous répondre à cela ? Cela fait plus de dix ans que vous vous battez tous les jours pour garder un savoir-faire, un patrimoine industriel en état de fonctionner et l’on vous pose CETTE question. Votre fatigue vous joue des tours, vous avez juste envie d’aller vous servir un verre et de passer à autre chose, mais il faut répondre, poliment, rapidement afin de s’en débarrasser au plus vite. Dans votre cerveau, il y a comme un fusible qui se casse, la fatigue sans doute... La perte du bon sens, certainement ! L’envie de ne plus être le gentil typographe-qui-fait-plaisir-à-tout-le-monde, mais d’être juste un être humain égoïste et mal élevé. Comme disait un auteur l’autre jour, le carnet d’escomptes était rempli... Votre patience est au bout et c’est la dernière personne qui remplit le carnet qui paiera pour tout le monde.

Des gens étaient sur le départ, mais d’un coup ils reposent leur veste, vont chercher un autre verre et se préparent à assister à une séance de théâtre digne de ce nom ! Merci les amis...

Votre première envie est de lui dire que cela ne sert à rien, que cela fait 10 ans que vous travaillez comme une bête de somme, tout cela pour rien, c’est simplement pour la faire parler et que cela à bien réussi. Mais vous ne pouvez pas ! Alors vous vous lancez dans des explications-fleuves sur la beauté du métier, la tradition, l’artisanat, etc. Le discours habituel. Mais vous l’avez dit et redit toutes la journée. Et vous en avez un peu ras-le-bol de redzipeter tout le temps, vous voulez avoir un peu la paix. Et quand votre laïus, cent fois répété, cent fois compris, arrive à sa fin, patatras, vous vous rendez compte que la mamie tromblon n’a rien compris... Elle ne voit pas la différence entre un artisan-imprimeur et la photocopieuse à la Migros !

Un moment de doute vous assaille. Mais il faut bien lui répondre... On va lui répondre ! Mais quoi ? Les spectateurs n’en perdent pas une miette, ils ont enfilé leurs lunettes 3D, boivent leur bière et attendent la suite. Le moment que tout le monde attend, quand l’imprimeur va se fâcher. On le connaît, il râle pour un oui ou pour un non dans son atelier. On sait que cela lui fait du bien quand il est tout seul. Aujourd’hui, il a quelqu’un en face, on va rire, c'est sûr. Lui toujours faire ainsi... Mais non, vous ne pouvez pas ! Vous vous dites que malgré tout, il faut essayer encore quelque chose avant d’en arriver à l’inévitable.

Vous essayez alors les petits gags et expressions connues, des métaphores éculées sur le métier, sur les artisans, sur le travail manuel, la beauté du geste. Vous prenez même une expression de votre mentor pour lui faire comprendre en somme qu’ici « on salit du papier », mais on le fait bien !

L’encéphalogramme de la tuberculose en face de vous reste à plat et vos autres invités jubilent. C’est le moment, c’est sûr, il va exploser. Eh bien non ! Une idée de génie vous traverse l’esprit. Ce même esprit qui n’a envie que d’une chose, qu’on lui foute la paix ! La métaphore géniale, celle qui va tout éclaircir dans la tête de la poussive grand-maman : un kilo de carottes !

Tout le monde retient son souffle, tout le monde a vu le sourcil droit de l’imprimeur se lever, signe que tout le monde attend la sortie qui tue ! Et notre courageux bonhomme se lance :

« Chère Madame, prenons un exemple au hasard, voulez-vous ? Vous devez acheter un kilo de carottes pour un repas de famille. Vous avez le choix entre allers au marché chez le petit producteur qui les fait pousser chez lui dans sa campagne du Jorat avec amour. Le cuisiner dans votre bonne vieille casserole avec un bouillon fait maison. Ou alors, aller le chercher chez Aldi, le faire cuire dans une eau saumâtre avec un cube Knorr fade et industriel. Comprenez-vous ? C’est la même chose entre un artisan typographe et Copy Quick. »

Les spectateurs sont surpris, le typo a gardé son calme, caramba encore raté ! Mais l’idée est bonne, tout le monde est sur le point d’applaudir ! Mais la tatie Danièle de service n’a pas fini de surprendre et balance tout de go : « mais chez Aldi c’est moins cher et c’est à côté de chez moi... »

L’implosion est inévitable vous le conviendrez ? La foule en délire retient son souffle, que va-t-il lui faire ? La balancer dans le massicot, partir en hurlant en levant les bras et déchirant son tablier ou encore fermer l’atelier et se faire wattman au tramway de la cordillère des Andes ?

« Eh bien, Madame, je ne peux rien pour vous. Je suis navré, mais si vous préférez Aldi au marché, la photocopieuse au travail fait main, je ne peux rien pour vous et nous allons briser là, voulez-vous !? »

Et vous partez l’air bien décidé, vers la tireuse à bière ! Le public respire à nouveau, un peu déçu que tout cela se soit déroulé dans le calme. Un ami, qui vous veut du bien, vous tend une bière. Ah L’ami fidèle, merci. On l’embrasserait. La paix est en train de revenir sur la terre. Mais il commente la partie. Et là ! Là ! Vous explosez, dans tous les sens ! Un bon gros râle puissant digne des plus grands imprimeurs ! La foule exulte de joie, l’imprimeur a poussé une de ses fameuses beuglantes, les choses reviennent à la normale, le mythe est sauf!  Et tout d’un coup tout va mieux !

Et intérieurement, vous vous répétez inlassablement ces mots d’une illustre connaissance : « allez faire comprendre l’incompréhensible, à des gens qui n’ont jamais rien compris à rien ».

dimanche 13 décembre 2015

Portes ouvertes de la Cité 2015, merci à tous!

Samedi 12 décembre 2015, les commerçants et artisans de la Cité organisaient leur 4e portes ouvertes.Avec animations dans toutes les boutiques et ateliers de la Cité, ce fut un grand succès.



L’Atelier Typo de la Cité n’était pas en reste. Merci à tous nos visiteurs d’être venus nous trouver à l’atelier et d’avoir partagé avec nous leur bonne humeur et le verre de l’amitié, durant cette grande journée.



L’atelier a réalisé des démonstrations d’impression avec « Yvonne », la presse à bras de 1840 et une gravure réalisée par Matteo Dufour. En plus de cela, nous avions 4 auteurs romands présents qui ont verni leurs nouveaux ouvrages durant la journée. Soit Henriette Vogelezang avec son recueil de contes « L’enfant qui voulait voir la mer », Alain Croquelois et son désormais fameux dictionnaire des épithètes de forme ; Ivan Killardson a présenté son coffret de deux livres mystérieux et angoissants et pour finir, l’auteur fétiche de l’atelier Vincent Delay avec son 6e volume des aventures de Toby Sterling, le célèbre détective amateur lausannois, « le Major Davel ne répond plus ».



L’atelier remercie tous les participants qui a permis la réussite de cette journée, les nombreuses personnes qui ont apporté leur aide non seulement durant la journée, mais aussi tous ces derniers jours afin de terminer les livres dans les temps. Nous remercions également A3 Studio pour l’organisation et la communication réalisées pour les portes ouvertes, la Brasserie du Château pour leur bière et Mirage Traiteur pour le succulent buffet.




Merci à tous pour votre soutien à la typographie et à l’artisanat, nous vous souhaitons de bonnes fêtes de fin d’année et n’hésitez pas à nous rendre visite à l’avenir!